lunes, 28 de octubre de 2013

Honduras : Déprédations transnationales et capitalisme vert

Honduras : Déprédations transnationales et capitalisme vert

Après le coup d’Etat de 2009, sous le régime de facto de Micheletti puis sous l’administration de Porfirio Lobo Sosa, avec un Congrès dominé par le Parti National, une avalanche de concessions et permis environnementaux frauduleux se sont empressés d’adjuger le territoire hondurien par portions aux compagnies minières, de tourisme, d’exploitation forestière et d’énergie hydraulique désireuses de faire main basse sur les “ressources naturelles” du pays. En 2011, le régime annonce la couleur avec la tenue a San Pedro Sula du forum “Honduras is open for business”, réunion de représentants de gouvernements, transnationales et investisseurs de quelques soixante-quinze pays destinée à encourager l’investissement direct étranger dans les secteurs de l’énergie, du tourisme, des infrastructures, des services, du textile, de l’agro-alimentaire et des ressources naturelles. “Exporter c’est progresser”. “Nous sommes ici parce que nous faisons confiance au travailleur hondurien” proclament les écriteaux sur l’autoroute de San Pedro a Puerto Cortes, zone franche d’exportation ou opèrent les maquilas, usines de fabrication de vêtements ou les droits du travail n’ont pas droit d’entrée et qui emploient plus de 100,000 personnes, dont plus de 80% de femmes, souvent jeunes, ayant émigré a la ville.




Depuis les années 1980 et la crise de la dette, dans le cadre des programmes d’ajustement structurel, le FMI et la Banque mondiale ont réorienté l’économie hondurienne sur deux secteurs : l’agro-export et la maquila. Le long de la côte atlantique, les plantations de palme africaine n’ont cessé de s’étendre au point que certains évoquent une “république palmière”, incarnée par Miguel Facussé, oligarque de grande influence, oncle de l’ex-président Carlos Flores Facussé (1998-2002), propriétaire d’immenses étendues de palme africaine et de la corporation agro-alimentaire Dinant. Responsable de l’assassinat de dizaines de paysans sans terre dans la région du Bajo Aguan, ex-“capitale de la réforme agraire” reconvertie en symbole de la monoculture latifundiaire, Miguel Facussé s’est lancé dans le greenwashing, en prétendant instaurer des “réserves naturelles privées” sur les terres qu’il s’est accaparées dans la zone de Punta Izopo (Triunfo de la Cruz) et dans la péninsule de Zacate Grande, sur la côte Pacifique. Pour comble, la corporation Dinant a bénéficié, dans le cadre du Mécanisme de Développement Propre du protocole de Kyoto, de fonds multimillionnaires de la Banque mondiale, de la Banque Interaméricaine de Développement, du gouvernement britannique, d’EDF et du bailleur de fonds allemand DEG, pour l’expansion des plantations de palme africaine, censée contribuer à la réduction des émissions de carbone via la production d’hydrocarbures. Miguel Facussé avance lui-même l’argument selon lequel les agro-carburants constituent une alternative à la crise pétrolière. La culture de la palme africaine, systématiquement encouragée, dans la zone Nord, par l’Institut National Agraire, pourrait atteindre, selon le Secrétariat de l’Agriculture et de l’Elevage, les 160 mille hectares à la fin de l’année (contre quelques 105 mille il y a trois ans) aux dépens des cultures vivrières, de la sécurité alimentaire, des communautés locales et des forêts tropicales.
 
Dans la même perspective, le projet ONU-REDD (Réduction des Emissions liées à la Déforestation et à la Dégradation des Forêts), lancé en 2008 suite à la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de Bali, sous l’égide de la Banque Mondiale, de la FAO, du PNUD et du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement), géré par les gouvernements, entreprises et ONG de “conservation”, part de l’hypothèse que l’attribution d’une valeur marchande aux espaces forestiers est la condition nécessaire à leur préservation. Concrètement, il s’agit de récompenser les gouvernements, compagnies et propriétaires pour la réduction des émissions de CO2 liées à la déforestation et la dégradation des forêts. Les forêts sont ainsi considérées non comme des écosystèmes mais des stocks de carbone, ce qui permet d’inclure les plantations dans le mécanisme de subventions et d’émission de crédits-carbone – et d’encourager ainsi la déforestation, de même que la spéculation commerciale sur les crédits d’émission et l’accaparement des terres (conséquences observées dans les projets pilotes en Papouasie Nouvelle-Guinée, en Indonésie et en Afrique centrale). Les projets REDD et REDD+ (ce dernier incluant le carbone des sols et de l’agriculture – donc, potentiellement, les cultures transgéniques) ne prennent pas en compte la vision des communautés locales, menacent leurs territoires et méconnaissent le droit à la consultation préalable, libre et informée (CPLI) desdites communautés. Ils méprisent et ignorent du même coup les cultures et savoirs des peuples indigènes, la complexité des écosystèmes forestiers quant à la captation des eaux, la biodiversité, etc. – au profit d’une logique marchande qui, loin de solutionner le problème, ne fait que reproduire la déprédation capitaliste des derniers espaces naturels et de leurs ressources.

En Amérique centrale, le programme REDD/REDD+, en phase préparatoire, est administré par l’agence de coopération allemande Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ). En mars 2013, le Conseil Indigène Centraméricain (CICA) dénonçait dans une lettre ouverte l’intolérance raciale et la discrimination des procédures du programme. Au Honduras, l’Organisation Fraternelle Noire Hondurienne (OFRANEH), le Conseil d’Organisations Populaires et Indigènes du Honduras (COPINH – fédération lenca), ainsi que des représentants des fédérations miskito, tawahka, chorti et tolupane, ont dénoncé les fausses procédures de consultation et de cooptation de leaders communautaires et manifesté leur rejet de toute application du programme sur les territoires communautaires qu’ils défendent à l’ensemble des institutions promotrices et participantes – dont l’ONG Rainforest Alliance et l’agence américaine USAID.
Les programmes REDD et REDD+ représentent la tentative d’inclure les forêts tropicales dans les marchés d’émission – dont l’inefficacité pour combattre le réchauffement climatique n’est plus à prouver – dans des contextes nationaux dont les niveaux de corruption font craindre l’intromission des milieux du crime organisé, déjà fortement implantés à tous les niveaux de l’Etat et de l’économie. Surtout, ils ne sont qu’un aspect des politiques d’accaparement et d’exploitation des biens communs, via l’octroi systématique de concessions territoriales. En mai 2013, sans le moindre débat, les députés du Parti National au pouvoir ont adopté un contrat d’exploration pétrolière avec la transnationale anglaise BG International Limited (BGI) pour plus de 35 mille kilomètres carrés sur le territoire maritime de la Mosquitia. Via le Secrétariat des Ressources Naturelles (SERNA) et la Commission pour l’Alliance Public-Privé (COALIANZA), les concessions minières et hydroélectriques ont été émises par dizaines, au bénéfice des transnationales et de l’oligarchie nationale et au détriment des communautés locales et du cours des rivières, conduisant à l’expropriation des terres, à la privatisation des eaux et, à terme à l’assèchement des zones humides et à une aggravation de la vulnérabilité aux catastrophes naturelles.


Sur le fleuve Patuca, second d’Amérique centrale, qui court sur quelques 500 km de la cordillère centrale à la Mosquitia, trois méga-projets de barrage ont été confiés, en 2010, à la multinationale chinoise SINOHYDRO. La zone littorale atlantique et la zone occidentale sont particulièrement affectées par la multiplication des concessions minières et hydro-électriques. La construction de barrages est encouragée par les bailleurs de fonds internationaux au titre de l’énergie renouvelable, et les critères de réduction d’émission de CO2 autorisent la vente ultérieure de crédits-carbone. Le barrage d’Agua Zarca (entreprises DESA et SINOHYDRO), sur la rivière Gualcaque, communauté de Río Blanco, dans le département d’Intibucá, a ainsi bénéficié de fonds de la BCIE (Banque Centraméricaine d’Intégration Economique) et de la Banque Commerciale et Financière Hondurienne FICOHSA, laquelle en novembre 2012 a passé contrat pour 20 millions de dollars avec PROPARCO, groupe de l’Agence Française de Développement dédié au financement de projets privés d’énergie renouvelable. Face à l’opposition constante de la communauté de Río Blanco, appuyés par le COPINH, militants des droits de l’homme et observateurs internationaux, la zone a été militarisée. Le 15 juillet, Tomás García, militant du COPINH, a été tué par balles par l’armée sur les lieux de la mobilisation. Un procès a été intenté à l’encontre de Berta Cáceres, coordinatrice générale du COPINH, de Tomas Gómez Membreño et d’Aureliano Molina, également membres de la direction du COPINH, pour coaction” (délit vaguement défini par le Code pénal comme l’agissement de “qui sans y être légitimement autorisé empêcherait autrui de faire ce que la loi n’interdit pas (…) que ce soit juste ou injuste”) et dommages à l’entreprise. Le 20 septembre, le tribunal de La Esperanza ordonné une peine de prison préventive dont l’application reste en suspens. L’avocat de Berta, Tomas et Aureliano, Victor Fernandez, membre du Mouvement Ample pour la Dignité et la Justice (MADJ), est lui-même objet d’une plainte similaire dans l’affaire de Nueva Esperanza, où l’entreprise Minerales Victoria, liée au groupe Inversiones EMCO, fait régner la terreur dans la communauté – au point de séquestrer, le 25 juillet dernier, deux observateurs du Programme d’Accompagnement International au Honduras (PROAH). Le groupe de construction EMCO, propriété de Lénir Pérez, gendre de Miguel Facussé, a récemment étendu ses activités à l’exploitation de l’oxyde de fer le long du littoral atlantique. Le 25 août, dans le département de Yoro, trois indigènes tolupanes ont été assassinés par des tueurs à gage alors qu’ils participaient à une mobilisation contre l’exploitation illégale du bois et de l’antimoine sur les terres ancestrales de la tribu de San Fransisco de Locomapa.

Le coup d’Etat du 28 juin 2009 a déchaîné une vague de violence et de répression qui se traduit par les exécutions ciblées et la persécution judiciaire des activistes qui défendent la souveraineté du peuple hondurien et le droit des communautés sur leurs territoires et luttent pour une refondation du pays où les principes de justice sociale et d’autonomie des communautés noires et indigènes aient force de loi. L’effondrement de l’Etat de droit et des institutions publiques et la criminalisation des mouvements sociaux, dans un climat d’impunité totale et de dictature civile du Parti National dont la majorité au Congrès piétine sans hésiter le principe de séparation des pouvoirs (cas de la destitution des juges de la Cour Suprême ayant voté l’inconstitutionnalité des charter-cities ou ciudades modelos – le seul juge s’étant prononcé pour ayant été nommé Procureur général de la République le 31 août dernier, tandis que Rigoberto Cuellar, ex-ministre de la SERNA, était nommé procureur adjoint) afin d’asseoir sa domination au service des oligarques nationaux et des entreprises multinationales lancés dans une guerre ouverte pour le contrôle des terres et des ressources du pays, où, ainsi que dans l’ensemble du sous-continent, les communautés paysannes, noires et indigènes ont le plus à perdre et payent le prix fort, sous couvert d’un maquillage social ou écolo-participatif dérisoire qui ne fait que souligner le cynisme d’un système dont le seul objet – la maximisation des profits à court-terme – est incompatible avec le simple respect de la vie et des principes élémentaires de justice.
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